| Note générale : |
Présentation par Joseph BOLY (extrait)
Le livre est riche. Une vie longue, passionnément méditée, spirituellement mûrie, a été nécessaire pour l’écrire. Aussi Nathanaël se prête-t-il à plusieurs types de lecture. Retenons-en trois qui répondent au sous-titre :le journal d’un fils du temple. En effet, en reprenant les données de ce sous-titre en sens inverse, nous pouvons voir dans ce récit une triple quête : la quête du temple, la quête de la paternité, la quête du salut par l’écriture. Ces quêtes se recoupent et se rejoignent constamment, permettant, chaque fois, une lecture à trois dimensions : le point de vue du templier dans l’espace et dans le temps, le point de vue de l’auteur dans son temps et dans sa vie, le point de vue intemporel.
Voyons d’abord la lecture historique. Nous sommes en 1291, dans cette «forteresse aux murs impénétrables» qu’est devenu le temple de Paris, cerveau de l’ordre des templiers. Le fils du temple, porteur d’un nom israélite : Nathanaël, est né sur les bords de l’Oronte, d’une princesse syrienne et d’un chevalier franc. Adopté par le grand maître de l’ordre qui l’a transplanté de Syrie à Paris, il a seize ans au moment où il commence à écrire ses confessions, le jour de Noël 1291. Nous sommes à la jointure des XIIIe et XIVe siècles, c’est-à-dire à un tournant de l’histoire. Saint-Jean-d’Acre vient de tomber, ruinant les États croisés d’Orient (1291) et le temple, submergé par les calomnies de Philippe le Bel, s’effondre (1312). Jacques de Molay, dernier grand maître, est jugé, condamné puis brûlé à la pointe de l’île de la Cité. Quelle époque à l’image de la nôtre ! La quête historique du temple, c’est le destin du sacré. Le jeune templier qui se confie à son journal est un contestataire. Il sait bien que l’avenir spirituel du monde ne peut s’accommoder d’un ordre militaire marqué et ruiné par les événements. Il faut sauvegarder au sacré un abri temporel. Il faut fuir. Il faut créer un nouvel ordre : l’ordre du Christ. Ce sera fait au Portugal et Bernard de Souvré, fils spirituel de Nathanaël, accouru du Périgord, rejoindra cet ordre où il sera l’authentique fils du temple. Cette quête d’un abri temporel pour les valeurs de l’esprit et du sacré, il serait facile de la retrouver, présente et constante, dans la vie et dans l’œuvre de Marcel Lobet. Signalons simplement la «magie du collège» qui a fasciné l’enfant de Braine-le-Comte et qui explique son attachement à La relève du matin de Henry de Montherlant. Ajoutons-y tel presbytère de campagne où l’écrivain retrouve auprès d’un ancien professeur un climat bernanosien, la chartreuse de la Valsainte et d’autres abbayes où le quotidien se trouve transfiguré, transcendé, illuminé (De la magie littéraire, 1975).
Deuxième lecture. Le fils du temple est un homme seul. N’oublions pas la première phrase : J’ai seize ans aujourd’hui, et je suis seul à le savoir...D’où cette recherche douloureuse d’un père, dans une double direction. Construire une vie et une œuvre dont on devient progressivement le fils. Produire une vie et une œuvre qui engendreront des fils. Double paternité spirituelle chez Nathanael et chez Paul de Souvré, hanté par la volonté de ne pas mourir stérile. Ce n’est point par hasard que Nathanaël fut copiste et Paul de Souvré, professeur en Périgord, auprès d’un garçon et d’une fille, épisode qui nous vaut quelques belles pages dans l’évocation de la sensibilité et de l’amour courtois.
Troisième lecture. Lejeune templier à la recherche d’un père, dont la vie s’inscrit dans l’histoire et dans une succession temporelle, est aussi et surtout un jeune homme tout court, qui devient adulte et qui connaît, dans son parcours, l’éveil de l’esprit et l’excitation des sens. Débat intérieur avant tout qui n’éclate que très rarement dans des faits extérieurs. Dans cette troisième lecture, la quête devient fondamentale. Il s’agit du salut, du salut temporel, mais celui-ci n’a de sens que s’il débouche dans l’éternité. Le salut pour l’homme écartelé entre le Pur et l’Impur, entre le Vrai et le Faux, entre la Beauté et la Laideur, entre l’Intelligence et la Bêtise, entre le Bien et le Mal. Et l’arme du combat est l’écriture qui s’épanche dans la confession. La grande œuvre romanesque de Marcel Lobet apparaît donc comme un couronnement. À force d’avoir entendu les autres en confession, le père se confesse à son tour. Le fils du temple n’est pas seulement pour Marcel Lobet un témoin et un répondant, c’est un «alter ego» dont il ne pourra jamais, jusqu’au dernier jour et jusque dans l’éternité, se déposséder tout à fait. Aussi pourrions-nous à Nathanaël, journal du fils du temple, la plupart des grands titres antérieurs de l’œuvre de Marcel Lobet. Le fils du temple est un «chercheur de Dieu», mais c’est aussi un «écrivain en aveu» qui, comme Adam dans le Jardin de l’Éden, possède «une ceinture de feuillage», signe des on aveu nécessairement déguisé, et qui cherche, à travers «la science du bien et du mal», non pas à dérober «le feu du ciel », mais à en vivre.
Source : https://www.servicedulivre.be/sites/default/files/marcel_lobet.pdf
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